[Théâtre] Karamazov (Jean Bellorini) @ Théâtre Gérard Philippe CDN

- 22 janvier 2017

Karamazov (extraits de l'oeuvre de Fiodor Dostoïevski, Les frères Karamazov)
Mise en scène : Jean Bellorini
Théâtre Gérard Philippe (TGP) - CDN

C'est marrant de voir Jean Bellorini aller et venir dans son théâtre à quelques minutes d'une représentation. Le voilà qui sort d'une coulisse. Il regarde autour, mais n'est pas vraiment là. Il entre dans la salle par la porte devant laquelle nous attendons, en haut des gradins. Il ressort, comme l'ouvreuse quelques instants avant lui. Il répond à un bonjour, rapidement, et se faufile parmi les gens qui attendent pour gambader vers ailleurs. Deux minutes plus tard, il sort à nouveau de cette même porte. Le gars court dans tous les sens ! On devine que la façade stoïque qu'il affiche cache sans doute un bouillonnement intense. Il passe. Les gens ne semblent pas vraiment le reconnaitre - comme moi si Fred ne m'avait pas rencardé... -, avec ses allures de technicien qui court chercher un adaptateur ou un tournevis. Et on le reverra ainsi passer pendant l'entracte, à la fin de la représentation. Le gars est là, en toute simplicité. C'est pourtant en grande partie à ce gars qu'on doit ce Karamazov, quatre heures de bonheur !

Ce qui m'a fasciné une nouvelle fois, c'est combien la légèreté de ce qui se passe devant nous tranche avec le poids de ce dont il est question. Un décor sobre, où tout semble flotter, les parois de cette datcha - cadre immuable de l'action - qui coulissent, tout comme le font deux plateaux qui parcourent l'avant-scène dans sa largeur, et qui font se croiser les personnages, se rapprocher ou s'éloigner en fonction de leurs actions ou de leurs pensées. Légèreté de ces petites pièces aux parois de verre dans lesquelles se déroulent les intérieurs, cloisons vitrées à travers lesquelles tout passe, lumières et noirceur, aveux et mensonges. Il y a cet éclairage minimal, précis, intime, dans le même esprit que pour Le Suicidé. Et puis la neige, évidemment, délicate lorsqu'elle tombe sur Katerina Ivanovna (dans une de ces pièces en verre) sur un air d'Adamo, abrasive lorsque, jaillissant des mains de Grouchenka, elle vient griffer le corps de Dimitri qui pourtant s'en vient rejoindre cette dernière - quel magnifique moment ! (un extrait ici à 2'21, version Avignon)

Et la musique ! (en live évidemment, c'est elle, le vrai décor, non ?) De longues nappes planantes de musique synthétique, soulignées ou contrariées par le piano et la batterie, ce lancinant leitmotiv chanté par la troupe, qui, méfiez-vous, sait aussi se faire brass band. Un formidable bouillonnement musical conçu par Bellorini, Michalis Boliakis et Hugo Sablic, agrémenté de quelques saveurs inattendues, Adamo (le moment que Marius adore), mais aussi une bouleversante reprise du tube du groupe Cranberries, Zombie - et même, me semble-t-il, un discret hommage au concerto pour violon de Sibelius ! Tout cela nous porte, nous berce, nous charme, nous enivre, c'est délicieux !

Et puis cette troupe - qui n'en est pas une d'ailleurs. Camille de la Guillonnière et Clara Mayer plus en retrait que dans Tempête sous un crâne, l'occasion de davantage voir les autres, de découvrir François Deblock (Alexeï) et Jean-Christophe Folly (Dimitri), de redécouvrir Karyll Elgrichi (Katerina Ivanovna), au rôle plus profond, plus sombre, que dans Tempête, formidable. Elle aussi, quelle voix... presque féline ! Et vraiment Clara Mayer. Clara Mayer, je vous adore ! Tous ! Ils sont plus que convaincants, ils donnent vie aux mots d'une manière qui frôle parfois le prodigieux. C'est simple, c'est sans chiqué, c'est populaire, c'est beau.

Dans la chanson "L'innocence", Jacques Higelin dit que la simplicité est la marque des grands. C'est vrai. Et Jean Bellorini est un grand.

PS - Chapeau Lila, la seule "petite fille" de la salle. Il fallait les tenir, les cinq heures (entracte compris) !

DK, le 23 janvier 2017

1 commentaire:

Frédéric Bons a dit…

Aussi prenant que "tempête sous un crâne",j'ai beaucoup

aimé. Lila


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