[Concert] Gautier Capuçon, Frank Braley @ Philharmonie de Paris

- 18 octobre 2016

Gautier Capuçon, Frank Braley
Ludwig von Beethoven, Sonates No 2, 4 et 5 pour violoncelle et piano ; Variations sur la Flûte Enchantée
Philharmonie de Paris

Il y a des fois où je ne sais pas m'y prendre. Choisir des sièges en arrière-scène lorsque vous venez écouter un instrument qui s'exprime dans des fréquences basses, que le musicien qui va l'utiliser va le faire dos à vous, n'est pas du tout une chose à faire - on peut même dire qu'il faut être un peu con. Et ce d'autant que j'avais déjà vu Gautier Capuçon, ici même, et que j'avais relevé combien son coup d'archet était délicat ! Allez, pas grave. Ce soir, le violoncelliste, son compère Frank Braley, leur compère Beethoven, nous ont offerts un très beau moment de musique, et de toutes ces émotions qui vont avec. L.V.B for life !

Quatre œuvres que je découvrais. La sonate No 2, première interprétée ce soir, la plus "jeune" (1796), dans laquelle on sent à quel point l'influence du génie de Salzbourg pèse encore sur celui de Bonn - tout particulièrement dans son dernier mouvement, un rondo imprégné d'une légèreté toute mozartienne. Les sonates No 4 et 5 ensuite, séparées ce soir par les Variations, mais qui composent les deux pans d'un même opus. Cette fois, c'est dans le Ludwig révolutionnaire, profond, tourmenté, passionné, héroïque, c'est dans tout ce qui s'esquisse de "romantique" dans ses compositions, que nous sommes pleinement plongés. Moment de grâce absolu que le deuxième mouvement de la No 5 - un "adagio con molto sentimento d'affetto" -, enchainé avec le troisième mouvement - fini le rondo, c'est par la fugue que Ludwig conclut cette œuvre toute en métaphysique... [clin d'oeil]

De très jolies Variations sur la Flûte Enchantée, truffées de dialogues entre les deux instruments, l'occasion de vérifier que la complicité entre Capuçon et Braley dépasse largement la connivence capillaire. Et pour notre plus grand plaisir, deux rappels, un extrait de la Méditation de Thaïs de Massenet (déjà entendu quelque part, ça...) et des Variations sur un thème de Rossini signées Paganini. Brillant ! Encore une très belle soirée à la Philharmonie de Paris (à un détail près, voir PS).

PS - Comme en témoigne la caméra installée sur scène, une captation du concert a eu lieu. Elle est disponible pendant six mois sur le site de la Philharmonie de Paris.

PS - Aie Aie Aie ! Pendant toute la première œuvre ce soir, d'insupportables "grillons", ultrasons parasites déjà entendus il y a quelques temps... et couplés à d'autres, plus marqués encore, persistants toute la soirée, que je présume liés à la présence des caméras sur scène... Est-ce que ces engins n'émettraient pas une sorte de bruit au moment où elles zooment et dézooment ?

PS - Ca tousse toujours pas mal, mais le petit effort de faire le silence au moment où les musiciens reprennent, big up au public de ce soir.

DK, le 19 octobre 2016.

[Théâtre] Le Suicidé (Berliner Ensemble, Jean Bellorini) @ Théâtre Gérard Philippe CDN

- 14 octobre 2016

Berliner Ensemble (mise en scène : Jean Bellorini)
Nikolaï Erdman, Le Suicidé (version allemande)
Théâtre Gérard Philippe (TGP) - CDN

Au début, j'ai eu un peu peur. Arriver un peu malade, l'esprit encombré, pour deux heures de théâtre (ce qui n'est pas ma spécialité, c'est pourquoi je me garderai de toute analyse artistique), qui plus est auf Deutsch, c'est pas l'idéal. Mais bon, pour Bellorini... Au début, j'ai eu un peu peur. Fredo a vu qu'il ne restait plus que quelques places à la vente. "Bah c'est le Berliner Ensemble, la troupe créée par Berthold Brecht !" Ouais donc, la salle va être bondée, on va peut-être pas choper la petite banquette qu'on aime bien. Allez, on met ce genre de considérations de côté... Au début, j'ai eu un peu peur. Les premières minutes, les premiers tableaux, je ne retrouvais pas ce que je peux identifier comme la patte Bellorini. A peine de lumière, bien vite la musique, aucun doute, c'est lui. Mais mon état, la langue (cette idiote idée de renoncer d'emblée, et d'ignorer les surtitres auf Französich, allez je comprendrai ce que je peux avec les bribes de ce qui me reste... J'entrave que dalle... Ah si, tiens, "Genossen", "camarades"...), le tout se mêlant, je n'y étais pas. J'ai eu peur, un petit moment.

Puis vient cette superbe scène du banquet, et tout bascule. Les musiciens quittent leur balcon en arrière-scène et rejoignent les comédiens et comédiennes, ils les entourent - à vrai dire, c'est le moment où mon esprit les intègre enfin. Les convives s'installent - le jeune marxiste après les autres... Ah, qu'ils sont snobs, ces avant-gardistes ! Le cérémonial de la distribution des verres donne le ton. Et c'est parti pour un moment de vie où chacun se lâche, Semione Semionovitch le premier. Et lorsque tout le monde se saoule à grands coups de refrains populaires généreusement entonnés, et lorsque c'est sur "Creep" de Radiohead que son héros va se livrer à un improbable numéro de catharsis, lorsque tout cela semble évident, et charmant, et fou, c'est que la magie Bellorini opère, qu'il n'y a plus qu'à se laisser faire.

Émouvante intervention de la belle-mère de Semione, texte rajouté à l’œuvre pour rappeler la censure que subit cette oeuvre, et l'opprobre de son auteur, Nikolaï Erdman. La scène du tuba, au tout début, pleine d'humour et de tendresse. Et puis la neige... - comme une signature ? Un peu moins épatante que le reste, cette scénographie avec les néons. Et encore... Big up Bellorini !

PS - Jugée "politiquement fausse et extrêmement réactionnaire", cette pièce de 1928 sera interdite par le pouvoir soviétique jusqu'en 1987, dix-sept ans après la mort de son auteur...

PS - Pensez à rappeler à vos amis et amies de Seine Saint-Denis qu'ils bénéficient d'un tarif réduit au TGP.

DK, le 15 octobre 2016

[Concert] Maxim Vengerov, Christoph Enschenbach, OdP @ Philharmonie de Paris (2ème soir)

- 6 octobre 2016

Maxim Vengerov, Christoph Eschenbach, Orchestre de Paris
Jean Sibelius, Concerto pour violon  (Op. 47) - Antonin Dvorak, Symphonie N° 8 (Op. 88)
Philharmonie de Paris

Vengerov et "son concerto" deux soirs de suite à Paris... Je me suis fait un (gros) plaisir.

Avec, au passage, l'occasion d'esquisser une réponse à cette question : un artiste appelé à jouer, et rejouer, et rejouer encore, une oeuvre en particulier, oeuvre qu'il finit nécessairement par dominer totalement, se contente-t-il de se reposer sur son immense talent pour dérouler sa mécanique impeccable, réciter sa leçon non sans une forme d'automatisme, ou, maestro mais non moins homme, est-il lui aussi tantôt porté, tantôt contenu par l'unique de chaque jour ? Maxim Vengerov n'est évidemment pas une machine. Il est un homme, un artiste exceptionnel, traversé par des élans géniaux et des moments de fragilité. Mais, de quelque côté qu'on le prenne, il nous irradie de son talent. Une entame de premier mouvement presque imprécise avant de se lâcher totalement et le conclure de manière magistrale - une nouvelle fois applaudi. Un deuxième mouvement parfaitement exécuté - il est sans plus, ce mouvement, non ? Un troisième à nouveau éblouissant. Encore merci, Monsieur Vengerov.

Et puis cette symphonie de Dvorak, tout de même. Pleine d'entrain, un premier mouvement truffé de mélodies joyeuses, à commencer par la ritournelle de la flûte ; un deuxième plus romantique, faisant la part belle aux violoncelles ; l'improbable reprise, totalement survoltée, du thème à la fin du troisième ; le brâme des cors lorsque le quatrième mouvement explose. Qu'elles font du bien, ces oeuvres aux accents populaires ! Bref, ça m'a donné envie de creuser un peu ce qu'a fait Dvorak. Encore une très belle soirée, dans un très beau lieu - on ne s'en lasse pas.

PS - Dis, Vengerov deux soirs de suite, ça ne m'aurait même pas suffi pour m'offrir une part de Gad et Kev... Et à ce prix là, tu l'entends respirer !

PS - Dites, les gens dont le hobby est de venir au spectacle pour tousser, s'il vous plait, trouvez un autre passe-temps. Je sais pas moi, allez chasser le Pokemon Ciraupourlhattouxe, vous le trouverez sous une croix verte qui clignote (souvent). OK, Fred me dit que le fait que le public ne rajeunisse pas n'arrange rien. Allez, les jeunes ! On se mobilise !

DK, le 8 octobre 2016

[Concert] Maxim Vengerov, Christoph Enschenbach, OdP @ Philharmonie de Paris

- 5 octobre 2016

Maxim Vengerov, Christoph Eschenbach, Orchestre de Paris
Jean Sibelius, Concerto pour violon  (Op. 47) - Antonin Dvorak, Symphonie N° 8 (Op. 88)
Philharmonie de Paris

"C'était parfait !"

Maxim Vengerov et le concerto pour violon de Jean Sibelius, l'un des plus grands violonistes de notre époque qui s'emploie sur l'un des chefs-d’œuvre de la musique (il en est presque un dépositaire puisqu'il est l'un des rares violonistes autorisés par la famille de Sibelius à en jouer la partition originelle), de quelle plus belle rentrée pouvais-je rêver ? (salut Daniel B., pardon Martha A.) L'attente était très forte. Le résultat a dépassé toutes mes espérances. Et je n'hésite pas à le dire - conscient que l'utilisation de ce mot exige une énorme prudence : si ce que Vengerov a fait ce soir a souvent tutoyé la perfection, ce qu'il a fait de la première partie du troisième mouvement était absolument parfait.

Qu'est-ce donc qui se passe dans un Maxim Vengerov quand il joue son concerto ? Quelles sont toutes ces choses - des notes, des mots, des pulsions, des forces... lui seul le sait - qui lui parviennent, le charment, l'étreignent, le pénètrent, le dominent, le bousculent, jusqu'à ce qu'il fasse virevolter son petit violon de trois cents piges, pour nous mener vers des firmaments de grâce. Un premier mouvement époustouflant - à fort juste titre applaudi... (La moindre des choses de la part d'un public qui a applaudi Gil Shaham après le premier mouvement de son bien médiocre concerto de Brahms lors de la saison dernière.) Un deuxième mouvement plus mélancolique - durant lequel le maitre nous gratifiera d'une fausse note... magnifique, forcément. Quant au troisième mouvement, il aurait fallu qu'il dure, et dure encore. Merci Maxim Vengerov - et pour le Bach en rappel.

L'Orchestre de Paris, qui a eu parfois du mal à se tenir dans les moments calmes du concerto, s'en donnera ensuite à coeur joie avec Dvorak, porté par une énergie qu'il avait un brin perdu en fin de saison dernière.  Quelle soirée ! Et le plaisir de retrouver cette salle qui m'avait manquée n'y est pas pour rien.

A suivre...

*
Relativement épargné jusqu'à présent, j'ai été confronté, pas directement mais presque, à l'un de ces spécimens d'un autre temps, public de "feu" Pleyel, disciples de Franck Ferrand, l'une de ces vieilles bourge' chagrinées, si ce n'est totalement paniquées, de devoir aller jusqu'en lisière du 9-3 pour écouter de la musique "civilisée". Pas contente, la madame ! Objet de son courroux ? Un scandale, jugez-en : un employé de la salle avait eu l'outrecuidance de... lui tendre un questionnaire destiné à connaitre notre ressenti ! (Oui oui, je sais...)

Elle apostrophe une ouvreuse et prend à témoin une autre spectatrice qui attend dans la coursive. "Oh mais vous vous rendez compte ?! On n'aurait jamais eu droit à ça à Pleyel ! Un questionnaire ! Et pour savoir qui je suis, mes coordonnées, des détails sur ma vie... Enfin ! Et puis ces questionnaires sont destinés aux gens qui ne viennent jamais au concert, pas à moi !"

Dans un autre cadre, dans lequel je m'adresse à un autre public que celui qui allait jusqu'alors écouter du classique dans les lieux dédiés, un public plus populaire, qui ressemble davantage à celui qui réside aux alentours de la Philharmonie par exemple, il m'arrive régulièrement de l'inviter à fréquenter cette salle - et notamment parce que les plus petits tarifs sont vraiment petits, et n'y sont pas synonymes d'éloignement ou d'inconfort. Si j'insiste auprès de ce public, qui pendant longtemps n'avait pas les moyens, et n'a donc pas l'idée, moins encore l'habitude d'y aller, c'est parce qu'à mesure qu'il y viendra, s'éloigneront peu à peu ces dinosaures égotiques et pédants.

DK, 6 octobre 2016