[Concert] Les Dissonances @ Philharmonie de Paris

- 26 octobre 2017

Les Dissonances
Ludwig van Beethoven, Symphonie N° 7 - Igor Stravinsky, Le sacre du printemps
Philharmonie de Paris

"Mais il n'y a pas de chef d'orchestre ?"

Voilà une dizaine de minutes que les premiers musiciens sont arrivés sur scène, dans une indifférence qui semble bien générale. Ce sont les violoncellistes et contrebassistes qui sont entrés en premier. Ils se sont assis, se sont emparés de leur instrument pour finir de l'accorder ou répéter un passage, dans le brouhaha de la salle qui se remplit encore. Les violonistes les rejoignent peu à peu, les vents, les cuivres... Tout ce petit monde se rassemble mine de rien, et se tient prêt à jouer. Peu de gens prêtent vraiment attention à leur présence. Fondu des lumières, annonce pour les téléphones, le calme vient peu à peu mais pas complètement. Le la est donné, quelques applaudissements qui percent et en entrainent d'autres.

Lorsque le silence de l'orchestre se fait, et qu'il va entamer les premières mesures de la symphonie de Ludwig, une rumeur persiste dans la salle. Comme s'il lui manquait quelque chose, à ce public domestiqué par les convenances de la musique dite classique, pour lui aussi faire silence. Non, monsieur, l'orchestre n'a pas eu besoin d'une entrée en groupe en ligue en procession pour obtenir vos applaudissements. Il s'est installé tranquillement, humblement, et vous avez applaudi. Non, madame, il n'y a pas de chef ! Mais que trouverez-vous encore à en redire lorsque ces musiciens, qui ont mis de côté la hiérarchie, vous auront comblée de musique ? L'orchestre Les Dissonances, avec Ludwig et Stravinsky comme partenaires de danse, c'est parti !

Et nous voilà immédiatement emportés. Il y a le rythme trépidant du premier mouvement de cette Symphonie N° 7 de Ludwig. Il y a surtout l'énergie débordante de cette formation pleine d'enthousiasme. Et immédiatement je retrouve ce qui m'avait charmé lorsque nous avions découvert Les Dissonances avec Frédo. N'ayant plus à porter le regard sur un chef qui leur donne la marche à suivre, les musiciens et musiciennes se regardent les uns les autres - probablement que de la même manière ils s'écoutent. Et forcément ils et elles se sourient. C'est une petite touche d'humanité en plus qui fait du bien.

Qui plus est, ce soir, ils dansent. David Grimal, le directeur artistique de Les Dissonances qui occupe le rôle de premier violon, fait comme les autres. Il se déhanche sur sa chaise, comme s'il était sur le dancefloor, guidé par un groove terrible. Terrible ! La musique de Beethoven a pris vie. C'est clair, c'est précis, c'est intense, c'est très beau. Un Allegretto solennel sans être pompeux, avant que les très entrainants troisième et quatrième mouvements nous replongent dans le groove... Bonheur ! Sus aux codes, le public applaudit entre les mouvements, et c'est très bien !

Et toujours pas de chef lorsque, après l'entracte, ce sont plus que quatre-vingt-dix musiciens qui ont pris place pour Le sacre du printemps. Non seulement ils sont deux fois plus nombreux, mais ils vont interpréter une oeuvre bien plus déstructurée que la précédente. Et pourtant, tout va très bien se passer.

Un grand merci, Les Dissonances ! Une superbe soirée pleine de clarté.
"- La musique est une révélation supérieur à toute sagesse et à toute philosophie... Je suis le Bacchus qui vendange le vin dont l'humanité s'enivre... -" Ludwig van Beethoven

DK, le 27 octobre 2017

[Concert] Gautier Capuçon, Kirill Gerstein, Leonidas Kavakos, Herbert Blomstedt, Gewandhausorchester Leipzig @ Philharmonie de Paris

- 24 octobre 2017

Gautier Capuçon, Kirill Gerstein, Leonidas Kavakos, Herbert Blomstedt, Gewandhausorchester Leipzig 
Ludwig van Beethoven, Triple concerto pour piano, violon et violoncelle - Franz Schubert, Symphonie N° 9 "La Grande"
Philharmonie de Paris

Brillant ! Un programme de très haute volée, des interprètes de grande qualité, dans une salle fabuleuse : la superbe soirée que nous promettait la venue du Gewandhausorchester a tenu toutes ses promesses - quasi, allez... Tout au long de la soirée, une incroyable énergie : celle contenue dans les oeuvres interprétées, bien sûr, mais peut-être aussi la patte Herbert Blomstedt, dont la gestuelle minimale tranche avec l'entrain qu'il insuffle aux orchestres qu'il dirige. Quelques réserves sur le Triple concerto joué en première partie, mais je ne suis pas près d'oublier cette Symphonie N° 9, lumineuse, éblouissante, magnifique.

Sur le Triple... Gautier Capuçon, rien à dire. Il ne perd rien de sa grâce - parfois un peu surjouée, mais ça passe bien - lorsqu'il doit jouer de façon plus tonique que lorsqu'il joue en formation réduite. Kavakos, je n'arrive pas encore à être renversé par son coup d'archet, mais il a tout de même de bien belles intonations, c'est indéniable. Bien plus délicat que lors de ma première rencontre avec lui - déjà avec Gautier Capuçon.

Si j'ai des réserves, elles portent d'abord sur la prestation de Kirill Gerstein. 'L'a pas eu comme un petit problème avec le rythme, le gars ? Ou bien a-t-il été victime d'une réverbération particulière de l'acoustique due au fait que nous étions placé derrière son piano ? Drôle d'impression tout au long de sa prestation, presque désagréable. Ensuite, en grand amateur de Beethoven que je suis, je dois bien reconnaitre qu'à mesure que je l'écoute, le Triple concerto n'est vraiment - vraiment - pas l'oeuvre qui me séduit le plus chez Ludwig.

En revanche, cette Symphonie N° 9 de Schubert est une splendeur - très Beethovenienne par bien des aspects -, et l'interprétation qu'en a fait le Gewandhausorchester fut splendide. Une vraie force, quasi palpable, dans les moments solennels. Une grâce folle dans les moments doux, comme la valse du Scherzo (3ème mouv.). Brillant !

Je crois qu'il gagne à être connu, ce Schubert !

DK, le 26 octobre 2017

[Concert] Emanuel Ax, Budapest Festival Orchestra, Ivan Fischer @ Philharmonie de Paris

- 17 octobre 2017

Emanuel Ax, Budapest Festival Orchestra, Ivan Fischer
Johann Sebastian Bach, Suite pour orchestre N° 3 - Wolfgang Amadeus Mozart, Concerto pour piano N° 20 - Piotr Ilitch Tchaïkovski, Symphonie N° 4
Philharmonie de Paris

Voilà le concert qui pourrait bien être la belle surprise de la saison.

Quand tu vas voir le Berliner ou le LSO, tu sais que tu vas en prendre plein les yeux - les oreilles, quoi. Quand tu viens écouter l'oeuvre qui te prend aux tripes depuis toujours, tu sais que l'émotion va te prendre, et qu'elle fera de toi ce qu'elle veut. Pas de problème, comme dirait Léo. Quand, en revanche, tu ne connais pas l'orchestre qui va jouer, tu ne sais pas qu'il va t'éblouir et te transporter. Quand tu ne connais pas l'oeuvre qui va être interprétée, tu ne sais pas que sa beauté va t'exploser à la tronche. L'inattendu, c'est une part d'enchantement qui vient sublimer l'instant. Régal à la Philharmonie de Paris hier soir, avec la venue du Budapest Festival Orchestra, pour une Symphonie N° 4 de Tchaïkovski mémorable. Mémorable !

C'est Emanuel Ax qui m'a mené jusqu'à ce concert. Lui, il m'avait emballé dans un Concerto 2 de Ludwig hyper classique mais impeccable, donné il y a deux saisons. J'étais curieux de voir ce qu'il allait faire de l'un des plus beaux concertos de Mozart. Et vous savez quoi ? Il en a fait précisément ce que je m'attendais qu'il en fasse. Une version très propre, dont le charme reposa davantage sur une précision incroyable que sur un toucher particulièrement gracieux - la proximité dans le temps du récital de Maurizio Pollini joua en sa défaveur, c'est vrai. Beau moment, très attendu, qui ne fut donc pas celui de la belle surprise.

D'abord le Budapest Festival Orchestra. Une formation fondée en 1993 par celui qui la dirigeait hier soir, Ivan Fischer (avec Zoltan Kocsis), qui apporte une preuve éclatante qu'un orchestre n'a pas forcément besoin de se trimballer un glorieux passé pour disposer d'une vraie et belle pâte sonore. Des phrasés pleins de douceur et de moelleux pour Bach - joué "à l'ancienne", debout et par des instruments d'époque. Une belle énergie qui ne va pas le quitter pour Mozart, et qui va littéralement éclater avec Tchaïkovski.

Quelle merveille que cette symphonie 4 ! Un premier mouvement, comme un manifeste tapageur du "mésesepoir", débutant par une tempête de cuivres qui nous arrache à toute chose et qui va nous brinquebaler durant tout le mouvement - durant toute l'oeuvre de manière sous-jacente. A aucun moment la savante alliance toute en légèreté que tenteront la flûte, la clarinette et le hautbois n'arrivera à convaincre. Si c'est de la vie de Tchaïkovski qu'il est question dans cette oeuvre, ce sont bel et bien les trombes tourmentées de la fanfare qui, in fine, imposeront leur loi. Et immanquablement... Terrible ! Fabuleux !

Aux instants poignants qui viennent de clore le premier mouvement succède le long chant mélancolique du deuxième. Longues et courtes mélodies pleines de tristesse, dont on ne sait s'il s'agit d'un baume ou d'un cheminement presque serein vers le renoncement. Sentiment qui pourrait expliquer ce troisième mouvement où de nonchalants pizzicati semblent venir se moquer de tout ça - de tout ordre. "Soyons désinvoltes, n'ayons l'air de rien". Comme s'il était possible de se mêler à la fête à laquelle nous invite le Finale. Si l'on y est un instant tenté, une bourrasque de cuivres nous ramène à la gravité de notre sort de vivants - de mortels. Chef-d'oeuvre !

Une énorme claque musicale. Merci le Budapest Festival Orchestra. Merci Tchaïkovski.

DK, le 18 octobre 2017

[Concert] Maurizio Pollini @ Philharmonie de Paris

- 9 octobre 2017

Maurizio Pollini
Robert Schumann, Arabesque Op. 18 et Kreisleriana - Frédéric Chopin, Deux nocturnes, Op. 55 et Sonate No 3
Philharmonie de Paris

Maurizio Pollini, c'est VRAIMENT la grande classe ! Et à nouveau une soirée magnifique offerte par l'un des grands monuments du piano. Un homme dont la simplicité apparente n'a d'égal que le talent fabuleux. Toucher incroyablement dynamique, inouï de légèreté et de délicatesse, ferme quand la gravité l'impose. Et inlassablement cette grâce, celle d'un tout jeune homme débordant de musique et de vie. Quand il chante avec Schumann (technique incroyable sur l'incroyablement technique Kreisleriana), quand il fait chanter Chopin (en veux-tu, t'en auras ! deux oeuvres du gars du Père-Lachaise en guise de rappel... et une séance de dédicaces après le concert), il nous prend, il nous emporte, et nous rend à la musique. C'est plus que le talent, c'est pas loin du génie, c'est l'instant du prodige. Maestro Pollini !

A la toute fin de la soirée, le public a cessé de tousser pour applaudir - et debout s'il vous plait.

DK, le 15octobre 2017