Boston Symphony Orchestra (dir.: Andris Nelsons), Maitrise de Radio France, Choeur des femmes de Radio France, Susan Graham
Gustav Mahler, Symphonie N° 3
Philharmonie de Paris
"Une fois encore, je ne gagnerai pas un sous avec ma Troisième Symphonie car les gens ne comprendront rien et ne voudront rien savoir de cette gaieté. Elle plane au-dessus du monde de combat et de douleur de la Première et de la Deuxième et ne peut être conçue que comme leur résultat." - Gustav Mahler
Samedi soir, je découvrais, de la meilleure façon qui soit, en vivant, la Symphonie N° 3 de Gustav Mahler. Eh bien, savez-vous ce que j'ai fait aussitôt rentré chez moi ? J'ai écouté une nouvelle fois la Symphonie N° 3 de Gustav Mahler. J'ai tenté ainsi d'en avoir le coeur, et de trancher une question qui s'était agrippé à moi dans les dernières mesures de l'oeuvre : cette Symphonie N° 3 de Gustav Mahler ne serait-elle pas la plus belle oeuvre musicale que je connaisse ? Peut-être pas. Mais pas loin.
Selon les mots de son auteur, le récit de cette symphonie ("Le fait que je l’appelle Symphonie ne signifie pas grand-chose car elle n’a rien de commun avec la forme habituelle. Le terme symphonie veut dire pour moi : construire un monde avec tous les moyens techniques existants.", G. Mahler) est Le songe d'un matin d'été.
Si une gaieté revendiquée va bel et bien habiter une large part de l'oeuvre, tout particulièrement en son Premier mouvement (trente minutes, un continent entier), c'est sur une marche pleine de gravité, entonnée par les cors, que Mahler nous fait entrer dans ce troisième monde. Il intitule cette introduction L'éveil de Pan, dieu de la nature et des troupeaux chez les Grecs. Henry-Louis de la Grange, "the" référence niveau Mahler, décrit ces premières mesures comme un "portail monumental".
Mais très vite, un changement de ton complet nous surprend. Tout en légèreté, d'un pas plein d'entrain, l'orchestre s'élance, et nous entraine dans le sillage du cortège de Bacchus. Aussitôt, l'été nous submerge. C'est foisonnant de mélodies simples, joyeuses, populaires, c'est d'une densité étourdissante, c'est d'une richesse remarquable, c'est chantant, c'est dansant. Même les accents parfois militaires n'y font rien. Cet incroyable Premier mouvement est un prodigieux tourbillon de grâce. Il va me falloir du temps pour m'en remettre.
Après cette bouleversante première partie, c'est aux pensées que lui content tour à tour les fleurs des champs, les animaux de la forêt, l'homme, les anges, et enfin l'amour, que Mahler va donner musique. Parmi ces cinq mouvements, celui dédié aux animaux de la forêt (3è mouv.) est un autre moment de splendeur rare. Ils sont là, ces animaux, devant nous, ou tout près, tant nous les entendons distinctement. Et ils nous charment, ils nous amusent, ils nous enjouent.
Magie pure, lorsque, du lointain (mettre un musicien en retrait de l'orchestre, un effet dont semble friand Mahler, puisque déjà utilisé lors de la Première - on s'en souvient, hein Frédo ?), nous parvient ce qui ressemble à un brame de cerf, incarné par un cuivre (le cor de postillon... faut le savoir... faut le connaitre déjà...) placé en arrière de la salle. La merveilleuse acoustique de la salle Pierre Boulez permet à son long solo d'exprimer toute sa solennité. La salle est littéralement happée. Un moment d'une beauté rare.
Les fleurs de champs (2ème mouv.) inspireront à Mahler une sorte de valse, énergique sur ses dernières mesures. Pour l'homme (4è mouv.), il fera chanter les mots de Nietzsche par une voix féminine, pour quelques instants d'une extrême gravité. Tranchant terriblement avec le mouvement suivant, celui des Anges (5è mouv.), oratorio entonné par une chorale de voix féminines et d'enfants. Quant à l'amour (6è mouv.), il permet au programme de s'achever sur une touche de douceur, inouie.
Il faut dire que si l'émotion de cette oeuvre nous parvint pleinement, c'est que l'interprétation livrée par le Boston Symphony, Andris Nelsons et les autres, fut absolument magistrale. Tout, y compris les petites imperfections ici ou là (un peu de fausseté de la premier violon dans le premier mouvement, les attaques de certains cuivres, y compris du cor de postillon, pas irréprochables non plus), semblait dédié à un seul parti-pris : l'émotion. Message parfaitement reçu par une salle conquise, et qui salua longuement et chaleureusement les musiciens.
Alors, s'il faut répondre à la question posée au début de cet article, la réponse est non. Il ne s'agit pas de la plus belle oeuvre musicale que je connaisse. D'abord, la religiosité du propos m'empêcherait de la placer devant L'imaginaire de Léo Ferré, par exemple. Ensuite, parce qu'il n'y a rien à faire, je ne m'entends pas bien avec le lyrique, et moins encore les voix de femmes. Mais cette Symphonie N° 3 de Mahler est définitivement une merveille absolue. Aussi gaie soit-elle.
DK, le 17 septembre 2018
1 commentaire:
Ca fait rêver!
Enregistrer un commentaire