[Théâtre] Paroles gelées (m-e-s Jean Bellorini) @ Théâtre Gérard Philippe CDN

- 27 mai 2017

Paroles gelées (d'après François Rabelais)
Mise en scène : Jean Bellorini
Théâtre Gérard Philipe (TGP) - CDN Saint-Denis

-- ATTENTION ! SPOILER --

C'est vrai que l'absence de comédiens sur scène pendant que les spectateurs s'installent aurait du me mettre la puce à l'oreille. Qu'est-ce que ce début tout à fait normal, et donc tout a fait inhabituel chez Jean Bellorini, pouvait-il bien cacher ?

Le noir se fait. Apparaissent au premier plan trois personnages (était-ce un premier puis les deux autres ?). On comprend assez vite - c'est la seule chose que je suis certain d'avoir comprise - qu'il s'agit des deux principaux protagonistes, Panurge et Pantagruel, accompagnés de celui qui sera le narrateur de l'histoire (le formidable Camille de la Guillonnière).

Ils sont devant un rideau noir. Dans un balai très Bellorinien, leurs paroles se croisent, s'échangent, se superposent. Le rythme de cette présentation nous emporte illico. C'est d'emblée plein de force, de finesse, d'humour, de justesse - cela ne me dérangerait finalement pas que la pièce que nous allons voir se résume à une série d'échanges, sans décor, sans rien d'autre que le mot sublimé.

Mais ces trois personnages s'écartent et le rideau noir tombe. La troupe apparait éparpillée sur cette scène brillante. Tous sont juchés, qui sur un escabeau, qui sur une chaise. Immobiles, ils débutent la narration, accompagnés par la musique savamment distillée d'un bassiste, d'un percussionniste (caisse claire, charleston et deux timbales) et d'un gars aux synthés, tous trois installés en arrière-plan. Un regard pour détailler les différents éléments qui composent la scénographie, toute en clair(<)obscur bien entendu, mais c'est à la parole des comédiens que s'en remet notre attention - d'autant plus que l'ouvreur avait été clair, il nous faudrait faire un effort pour comprendre.

Je vais être franc : je n'ai pas compris grand chose. Mais je me suis laissé charmé, surprendre, ravir par de superbes moments de théâtre. Le deuxième - l'incroyable dialogue (à trois) de présentation étant le premier - est sans conteste celui où l'un des comédiens présents sur cette scène inaugural se décide à bouger, à descendre de son "support", et pose le pied sur cette scène... qui aussitôt semble se dérober sous lui ! Si Lila et moi avions remarqué qu'elle brillait, nous étions à cent lieues d'imaginer qu'elle était une immense étendue d'eau. Le charme des premiers remous nous enchante, instant de grâce incroyable.


Ce qui me restera en premier lieu de ce spectacle, c'est la musique. Quel bonheur ! Elle donne au moment de la parole une résonance inouïe. Ce n'est évidemment pas la première fois que je relève cet élément majeur des mises en scène de Bellorini, mais je n'avais jamais autant senti sa présence. Peut-être l'attention que je n'accordais plus au récit s'est-elle reportée sur elle ?

Il y a les airs, les chansons qu'on attend presque (avec le Cantique de Jean Racine de Gabriel Fauré, qui m'est intimement cher, moment bouleversant ; avec ce crooner improbable qui sort de nulle part pour un Still loving you surjoué et à moitié faux, mémorable !). Il y a ces moments où, non contents de la parole, les comédiens eux-mêmes s'en emparent. Il y a surtout sa présence - qui tient presque de l'omniprésence -, tout au long de la représentation. Et cette énergie, cette profondeur, cette chaleur, qu'elle seule porte... La musique !

Ce que je ne suis pas prêt d'oublier non plus, c'est la prestation de Karyll Elgrichi. A volé en éclat mon souvenir d'une comédienne parfois un peu dans la démonstration, dans la posture. Bien plus convaincante dans Karamasov que dans Tempête sous un crâne, elle a fini de me mettre totalement dans sa poche. Son dialogue avec Panurge, lorsque tous deux parcourent le corps de Pantagruel, le dialogue de deux enfants, plein de spontanéité et de simplicité... Merveilleux ! Et le charme fou de cette scène où, au centre d'une corolle lumineuse, elle est devenue une femme, portant une robe de mariée qui lui est tombée dessus, et qui semble très lourde, très lourde à porter... Bouleversante !

Évidemment, quand tout ou partie du sens de ce qui se déroule vous échappe, certains moments semblent un peu longs. Le fait d'être un peu perdu largement compensé par la beauté incroyable, la drôlerie, l'émotion de certains instants, par la conviction d'une troupe de comédiens remarquables, par ce tout qui fait la patte Bellorini (on attend avec impatience le programme de la saison prochaine). Par le plaisir de passer un chouette moment avec Lila.

PS - T'as manqué, Frédo.

DK, le 3 juin 2018

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